Dans la ferme de Guerry, sur la commune de Savigny-En-Septaine, 300 personnes se sont rassemblées pour commémorer la tragédie qui s'y déroula entre le 24 juillet et le 8 août 1944. Ci-dessous l'allocution du Comité du Souvenir de la Tragédie des puits de Guerry :
Pour Tzvetan Todorov, La tragédie des puits de Guerry est une « Tragédie française ». Elle trouve son origine dans la prise de la ville de Saint-Amand-Montrond, le 6 juin 1944, et l’arrestation de Simone Bout de l’An, l’épouse du Secrétaire Général adjoint de la Milice, par la Compagnie Surcouf, composée d’éléments de la Résistance intérieure. Ces évènements provoquent en effet l’intervention de la Brigade allemande Jesser et celle de la Milice. Après le départ de la Compagnie Surcouf, la population est soumise à la répression des allemands et de leurs complices français.
Arrivé à Saint-Amand dès le 8 juin 1944, Joseph LECUSSAN, antisémite pathologique et alcoolique notoire, mène les opérations. Chef régional de la Milice à Lyon, il est l’assassin de Victor BASCH, président de la Ligue des Droits de l’Homme. Après l’exécution de Philippe Henriot, le 28 juin 1944, à Paris, LECUSSAN, qui s’est autoproclamé GAULEITER pour la zone sud du Cher, s’acharne contre la population juive de Saint-Amand-Montrond.
Le 29 juin 1944, la Milice arrête 4 membres de la famille JUDA à BESSAIS LE FROMENTAL. Le 17 juillet, les prisonniers sont transférés à la Prison du BORDIOT à BOURGES, laquelle relève des autorités allemandes d’occupation. LECUSSAN s’entretient avec le responsable du S.D. de BOURGES, le S.S. HASSE, afin de lui faire part de son projet de lui livrer tous les Juifs de Saint-Amand-Montrond. Fritz MERDSCHE, commandant régional du S.D. à ORLEANS, autorise HASSE à procéder à l’arrestation envisagée.
Le soir du 21 juillet 1944, deux camions transportant des soldats de la Wehrmacht, encadrés par des éléments du S.D. et appuyés par une quinzaine de miliciens, arrivent à Saint-Amand. La rafle commence à 22h50 pour ne s’achever qu’à 4h00 du matin, au milieu des violences, des insultes et des pillages. 70 personnes sont appréhendées et regroupées dans les locaux du cinéma REX. Le plus jeune a 3 ans et demi, le plus âgé 85 ans. Les prisonniers sont aussitôt transférés à BOURGES.
Devant l’impossibilité d’organiser la déportation des Juifs de Saint-Amand, MERDSCHE ordonne à HASSE de procéder sur place à la liquidation des prisonniers. Cette sordide mission est confiée à Pierre PAOLI, agent français au service du S.D. de BOURGES, natif d’Aubigny sur Nere.
Le 24 juillet 1944, PAOLI accompagné de 5 allemands et d’un milicien, extrait les 26 hommes retenus au BORDIOT de BOURGES. Ils arrivent sur le site de la ferme de Guerry, sur la commune de Savigny en Septaine, au milieu du POLYGONE. Les prisonniers, par groupes de six, sont emmenés au puits n°3 où la plupart des victimes sont jetées vivantes. Des moellons de plus de cinquante kilos sont jetés sur les corps. Attendant son tour, Charles Krameisen, malgré le bruit des moteurs, semble entendre tirer. Il retire ses chaussures et déclare à ses camarades « J’aime mieux être tué de dos que de face par les Allemands. » Dernier à descendre du camion, Charles Krameisen trompe la vigilance de ses gardiens et court vers les bois où il se réfugie au milieu des ronces et des fourrés. Il est recherché en vain pendant plusieurs heures. Il parvient à se cacher dans la grange de M. GUILLEMIN, sur la commune de Savigny en Septaine. M. GUILLEMIN le découvre, demi nu, en sang, les yeux hagards. Une fois remis de ses blessures, ne pouvant rester dans la ferme des Guillemin, Charles KRAMEISEN se cache de ferme en ferme jusqu’à se rapprocher de SAINT AMAND.
Le 26 juillet 1944, les frères JUDA et Mojzesz SEIDEN, arrêté pour faits de Résistance à la fin du mois de mai 1944, sont emmenés à Guerry. Ils sont assassinés dans le puits n°2.
Le 8 août, dix femmes quittent leur cellule. Deux d’entre elles invoquant leur appartenance à la religion catholique obtiennent la grâce de ne pas faire partie du convoi. Les huit autres femmes sont emmenées à leur tour à Guerry. Elles sont assassinées dans le puits n°2, probablement exécutées par balles.
Le 9 août le S.D. et la Milice évacuent BOURGES. Le 17 août 1944, les femmes et les enfants, soit 32 personnes, encore détenus sont libérés de la Prison du Bordiot. Quelques semaines plus tard, les survivants retrouvent, non sans surprise, Charles KRAMEISEN. Il fait part de son témoignage. S’il peut décrire certains détails du lieu de la tragédie, il n’est pas en mesure de le retrouver seul. La Gendarmerie de Bourges et le Comité Berrichon du Souvenir et de la Reconnaissance enquêtent avec le concours de Charles KRAMEISEN et de la Mairie de SAVIGNY EN SEPTAINE. Le 9 octobre 1944 , le puits n°1 est découvert contenant des sacs et des mallettes. Le 18 octobre 1944, les effets personnels des victimes sont remontées. Le 19 octobre et les jours suivants, les puits n°2 et n°3 sont retrouvés et examinés. On en sortira le corps des 36 victimes de la tragédie des Puits de Guerry.
Le crime de Guerry, malgré le procès de PAOLI, en 1946, et celui de la Gestapo de BOURGES, en 1950, ne permit pas d’éclaircir totalement le rôle joué par les différents protagonistes. Les commanditaires Allemands du massacre, HASSE et MERDSCHE, ne furent pas même inquiétés.
Ces faits relèvent de la Shoah. Classifiés secret du Reich, ils s’inscrivent dans le processus d’extermination systématique de la communauté juive d’Europe, tel qu’il avait été établi à WANNSEE, et connu sous le nom de « Solution Finale ». Les personnes arrêtées à Saint-Amand et ses environs étaient vouées à la déportation. Seule l’impossibilité d’organiser un convoi en Allemagne durant cet été 44, fit du Berry et de Guerry, en particulier, un lieu de la mémoire de la Shoah. La tragédie de Guerry n’est pas sans évoquer la première phase des persécutions juives à l’Est de l’Europe, mise en lumière par le Père DESBOIS et surnommée « Shoah par balles ». C’est pourquoi cette commémoration s’inscrit pleinement dans la journée du souvenir des déportés.
Guerry est un lieu de mémoire depuis 1945. Le 18 octobre 1994 fut inauguré le mémorial. Œuvre de Georges JEANCLOS, il représente deux colonnes évoquant les rouleaux de la Thora. Les chapiteaux qui les surmontent symbolisent, d’une part, la chute des corps dans les puits et, d’autre part, leur relèvement suggérant leur résurrection. Guerry est un lieu de Mémoire. Cette mémoire est celle de la SHOAH, celle des crimes de systèmes totalitaires fondés sur des principes racistes, antisémites et xénophobes. Il ne s’agit pas seulement d’honorer la mémoire des victimes. Ces faits sont pour nous une mise en garde pour le présent et l’avenir.
Il y a plus de 70 ans, les valeurs de la République, Liberté-Egalité-Fraternité, furent piétinées par l’occupant nazi mais aussi par ses complices français. Aujourd’hui encore, la tentation est grande de renouer avec nos errements passés. « Il est encore fécond, le ventre d’où a surgi la bête immonde ! » écrivait Bertholdt BRECHT. Renoncer à la raison pour gouverner, répondre par la rumeur et la haine de l’autre pour résoudre une crise sociale, économique et politique conduit toujours l’humanité au bord du gouffre.
L’antisémitisme n’est pas mort. Il s’expose sur nos réseaux sociaux. Il transpire dans la presse et dans les salles de music-hall. Hier comme aujourd’hui, la même haine poursuit ceux de nos concitoyens dont le seul tort est d’être né juifs. Illan Halimi, les enfants de l’Ecole Ozer Hathora, les clients de l’épicerie Hypercacher et tant d’autres faits divers moins médiatisés témoignent du regain terrifiant de l’antisémitisme depuis notre entrée dans le IIIème Millénaire. Dans cette surenchère de la haine, aux nostalgiques du nazisme et de Vichy, s’ajoutent désormais les promoteurs du Djihad International, une jeunesse acculturée et des militants prétendant libérer tous les hommes du monde aux dépens de certains d’entre eux. En France, l’antisémitisme a toujours été synonyme d’une République en danger.
A l’heure où la tentation totalitaire, fondée sur la haine de l’autre et l’invention d’ennemis, tant intérieurs qu’extérieurs, contamine les 5 continents, jusqu’à notre propre nation, le devoir de mémoire nous invite à rappeler aux hommes que chacun d’entre nous est le gardien de son frère.